• ALWATAN ALGER 20 AVRIL 2006

    La chasse à l’homme menée régulièrement par les services de sécurité marocains contre les immigrants clandestins subsahariens a dissuadé momentanément les populations déshéritées du Mali et du Niger de transiter par le Maroc pour gagner l’Europe, où elles espèrent décrocher un travail qui leur permettra de faire vivre leurs familles.

    Depuis le drame humain survenu en octobre dernier à Ceuta, plusieurs immigrants préfèrent se rendre en Mauritanie et risquer leur vie sur des embarcations de fortune, louées à 600 dollars pièce, afin de rallier les îles Canaries, destination à partir de laquelle ils tenteront, par la suite, d’entrer illégalement en Europe. Mais à défaut d’aller en Europe, la majorité des immigrants clandestins originaires des pays du Sahel se rabattent souvent sur la ville de Tamanrasset, où ils commencent de plus en plus à s’installer. L’amélioration des conditions de vie et les opportunités d’emplois créés par les importants investissements consentis par l’Etat pour développer les wilayas du Sud sont les éléments qui les persuadent aujourd’hui de rester en Algérie. C’est ainsi que des centaines de Maliens et de Nigériens, chassés de leurs villages par la misère, franchissent clandestinement, presque chaque jour, les frontières du sud du pays grâce à des transporteurs de marchandises qui se reconvertissent en passeurs pour « arrondir » les fins de mois. Pour entrer dans le territoire de Tamanrasset ou d’Adrar, il ne faut pas plus de 2500 DA, soit près de 20 euros. Une somme dérisoire comparée au « droit de passage » exorbitant (1000 euros) que les chefs des réseaux de clandestins tenus par des Marocains en Mauritanie exigent des migrants subsahariens. Toutefois, les immigrants clandestins qui viennent en Algérie dans l’espoir de s’offrir une nouvelle vie ne sont pas toujours assurés d’être conduits à destination. Parfois, ils sont abandonnés en plein désert sans eau par leurs accompagnateurs occasionnels. Beaucoup d’entre eux ne doivent leur salut qu’aux patrouilles de la gendarmerie de Tamanrasset qui se voient régulièrement endosser le rôle de secouristes. Cela expliquerait pourquoi les gendarmes ne sont pas craints par les immigrants clandestins. Preuve en est, les citoyens étrangers arrêtés pour immigration clandestine, notamment ceux des pays voisins, finissent par repasser la frontière.

    Le prix d’une politique

    Sourire en coin, un Nigérien, vivant illégalement dans la capitale de l’Ahaggar depuis des années, reconnaît, à ce propos, que le « pire » qu’il risque, au cas où il serait cueilli, est qu’il se voit reconduire à la frontière. En ce sens, il avoue que les autorités locales n’oublient pas que les personnes arrêtées sont originaires de pays avec lesquels l’Algérie entretient de bonnes relations et qu’à ce titre, elles veillent à les traiter « convenablement ». Les immigrants clandestins savent à l’avance qu’ils ne courent pas de gros risques en franchissant la frontière algérienne. D’où l’importance du flux. De leur côté, les responsables des services de sécurité, particulièrement ceux de la Gendarmerie nationale, ne perdent pas de vue que les gens qui bravent les dangers du désert pour rallier les villes du sud du pays ne sont là que parce qu’ils sont dans le besoin. « Comment ne pas faire preuve de compréhension à l’égard des immigrants clandestins ? Nous n’oublions pas qu’ils ont fui la misère et la pauvreté dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie. A une certaine époque, les Algériens ont connu aussi ce problème. C’est là un argument supplémentaire pour traiter dignement ces gens », a soutenu le commandant du groupement de gendarmerie de Tamanrasset, le lieutenant-colonel, Mohamed Belbachir. Compte tenu de la situation, les services de sécurité axent davantage leurs efforts pour démanteler les réseaux de clandestins. Mais là aussi, les autorités ne peuvent pas grand-chose car la loi anti-immigration clandestine -qui remonte aux années 1960- semble complaisante à l’égard des passeurs. Le souci de l’Algérie de maintenir à un niveau exemplaire ses relations bilatérales avec ses voisins du Sud a cependant un prix à payer. La wilaya de Tamanrasset consacre chaque année un minimum de 14 milliards de centimes à la prise en charge aux arrivants. Il faut s’attendre à ce que cette enveloppe augmente dans la mesure où le marché local de l’emploi, devant la multiplication de projets, devient fortement demandeur en main-d’œuvre. Il est facile de deviner que les « souadin » (termes en vogue à Tamanrasset pour désigner les immigrants subsahariens) ont la cote auprès des entrepreneurs de la région. La raison tient au fait qu’ils ne sont pas exigeants au plan salarial et qu’ils ne rechignent pas au travail. En ce sens, le succès rencontré par les Maliens et les Nigériens pourrait bien amener une partie de l’Afrique à regarder l’Algérie comme un nouvel eldorado.

    Cherfaoui Zine


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  • ALWATAN ALGER 20 AVRIL 2006
    Détalant comme s’ils avaient la mort aux trousses, les quatre hommes filaient à travers les allées du marché de Djanet, bousculant l’après-midi caniculaire et faisant tomber des étals entiers, sous le regard presque habitué des marchands. Dans leur précipitation paniquée, ils ont abandonné leurs « stand » de vente de cassettes et des CD de musiques targuies. De l’extérieur du marché, on entend les hurlements métalliques du 4X4 de la gendarmerie fonçant à toute vitesse.

     
    Un des meilleurs chauffeurs de Djanet, Belgacem Essoufi, nous a expliqué que pour chasser la gazelle, il fallait la poursuivre avec la Toyota sur un terrain plat en la poussant à l’éreintement extrême. Les quatre hommes, jeunes et Noirs, étaient des « sans papiers ». Des « sans papiers », « sans papiers », répète-t-on comme pour mieux appréhender le sens de ce mot appliqué à des frères continentaux qui mériteraient probablement une régularisation au nom d’une certaine africanité, si proclamée lors des Sommets feutrés du NEPAD et de l’Union africaine. En tous cas, l’Etat veille. Le 16 avril, la police des frontières a annoncé qu’une nouvelle brigade de lutte contre la criminalité et les filières de l’immigration clandestine sera prochainement opérationnelle dans la région de Djanet, à 2300 km au sud du port d’Alger. La commune de Bordj El Haouès, située à 120 km au nord de Djanet, accueillera un bureau de contrôle des services des frontières. « Ce service sera doté de tous les moyens de lutte contre la criminalité et de contrôle de l’immigration clandestine allant vers Tamanrasset », selon l’APS qui fait parler la police des frontières. Un diplomate français déclarait, en mars 2005, à un journaliste du Quotidien d’Oran : « nous voulons que les pays du Sud encadrent cette immigration, il est difficile de la contrôler comme le prouve Djanet qui est devenue une plaque tournante (...) Il existera en Algérie des zones grises d’immigration, avec des régions périphériques, des groupes terroristes qui vont encadrer ce flux et se servir en termes de recrues. » Le lien est vite trouvé. Mais que serait le monde si la police des frontières était postée sur l’itinéraire des premiers hommes quittant les vallées originelles de l’Afrique orientale il y a des milliers d’années, sur le parcours d’Abraham d’Ur à Canaân, sur la route de l’enfant Jésus de Bethléhem vers l’Egypte, sur le chemin de Moïse vers le Sinaï ou sur la piste de la migration du prophète Mohamed vers Médine ? « Ici tu peux vivre : tu achètes une 4X4 au Mali ou au Niger à un prix dérisoire et après tu choisis : chauffeur contractuel pour une agence ou indépendant. Mais eux, ces Noirs, comment veux-tu qu’ils s’en tirent ? », dit un habitant de la Djanet niché sur un côté de la vallée charriant, de temps à autre, de violents torrents comme celui qui a emporté le chanteur Othmane Bali en juin 2005. Les quatre jeunes fuyards reprennent position. Ils n’ont pas été appréhendés par l’ordre et la Loi. Les Touareg, nomades dans l’âme, et dont la majorité ont des parents de l’autre côté des frontières libyennes et nigériennes, observent ce jeu de cache-cache avec étonnement. « Je n’aime pas Alger. Tout se paye : dormir, l’eau. Et surtout, ici, je dors n’importe où sans que personne ne vienne me demander qui je suis », lâche ammi Yahia Ouaouane, 64 ans, guide et agriculteur, né quelque part à Tin N’houïan, non loin de Bordj El Haouès où il a fini par s’installer en 1974. C’est aussi les migrations du Nord et les fixations de populations nomades qui ont créé ce genre de bourg, chef-lieu d’une commune. « Il y a trente ans, il y avait un corbeau, la station essence et moi », dit de sa voix caverneuse le vieux Boudjemaâ, natif de la Casbah d’Alger - « voisin d’El Anka à la rue du Regard » - yeux clairs perçants, cigarette brune au bec, allure oulid dzayer avachie dans sa gandoura sur une chaise au café exigu du centre de Bordj El Haouès. Dans les années 1970, un tirage au sort concernant l’attribution de gestion de pompes d’essence au profit des anciens moudjahidine, le propulse à Bordj El Haouès, anciennement Fort Gardel, du nom d’un lieutenant de l’armée française, Gabriel Gardel qui laissa notamment de précieuses notes sur la tribu des Kel Ajjer (ou Azjer), éditées à titre posthume en 1961.

    « Même si ton père TE fait du stop... ! »

    « C’était le grand vide. Quand je voyais de la poussière au loin sur la route vers Amguid, j’étais content : un camion. Mais souvent ce n’était que du vent », raconte ammi Boudjemâa qui a cédé la station essence à l’APC au bout de douze ans de galère au quart de son prix réel : « en tout, j’ai perdu un milliard et demi de centimes. » La station est toujours là. Pas le pompiste. « Et voilà, y’a personne à la pompe. Il faut l’attendre. Il est peut-être parti faire un tour dans les environs, fait la sieste ou je ne sais quoi », râle notre compagnon chauffeur. « Et depuis, j’ai ouvert une épicerie avant de déposer bilan... Les gens ici gagnent 5000 dinars, et ils font des courses pour 6000. Beaucoup de pauvreté dans ces régions », soupire ammi Boudjemaâ. « A part partir trimer dans les bases à In Amenas, faire le guide ou le chauffeur pour une agence de tourisme ou trouver un petit commerce, y pas grand-chose. Qui va rester pour faire paître les chèvres ? », dit-on à Djanet, capitale du Tassili, vitrine urbaine de la confédération tribale des Kel Ajjer, dont la nouvelle digue se promet de protéger ce joyeux de la colère de l’oued. Djanet accueille ses hôtes de partout : touristes, clandestins, commerçant de l’Est, routiers de passage, chasseurs de prime autrichiens, appelés militaires au bout de leurs vingt ans, fonctionnaires, européennes mariées à des Touareg, contrebandiers aux larges épaules, Mozabites tenants de riches échoppes, etc. Belgacem Essoufi, la trentaine, originaire de Oued Souf, chauffeur de 4X4 adroit et audacieux, caresse son véhicule avec l’amour du chevalier pour sa noble monture. « Il connaît sa Toyota pièce par pièce », dit, admirateur, Djemî, un autre chauffeur, de Hassi Messaoud. « J’aime travailler ici. C’est tranquille et on rencontre beaucoup de gens différents. J’ai appris un peu l’anglais, l’espagnol et l’italien avec les touristes », dit Essoufi. Les chauffeurs-guides se connaissent et ne sont pas avares de conseils : « Si tu croises un véhicule dans l’après-midi, fait lui un appel de phare. Si le conducteur en face ne répond pas, serre à droite, car les gens ont tendance à somnoler sur leur volant quand le soleil tape. » De Djanet à Tamanrasset, de In Salah à Ouargla, ces chauffeurs sillonnent le désert, coincés entre la canicule et les bandits des grands espaces. « Dès que tu quittes une ville, tu roules à toute vitesse, tu ne t’arrêtes sous aucun prétexte, même si ton propre père te fait du stop », conseille l’un des conducteurs qui raconte avoir été poursuivi une fois par des bandits. « Ils garent leurs puissants 4X4 en bord de route, cachés derrière une dune, puis te prennent en chasse, et parfois fois ils tirent sur les roues. Il faut rouler vite, ne pas paniquer », poursuit-il. Que pensent les néo-méharistes de Mokhtar Belmokhtar (MBM), dit Belaouar, le borgne, alias Khaled Abou El-Abès, présenté comme chef d’une bande de voleurs de 4X4 et comme « émir » terroriste ? « Lui au moins, il ne s’attaque qu’aux entreprises publiques. Sa bande oblige le conducteur à s’arrêter, le laisse tranquille, prend le véhicule, le ‘‘désosse’’ pour revendre les pièces détachées et acheter un nouveau 4X4 au Mali ou ici. Point important : ce ne sont pas des assassins », raconte un routier adossé sur sa Toyota devant la place du marché de Djanet qui râle par contre, contre la rareté organisée du mazout, comme c’est le cas à Tindouf ou à Tamanrasset. « Tu promènes des touristes en ne pensant qu’au mazout. Eux ils ont payé une prestation, ils se moquent des décisions du gouvernement », poursuit-il. Les autorités opèrent le rationnement pour limiter, disent-ils, la contre-bande du fioul vers le Mali, le Niger ou le Maroc. Frauduleusement, l’on exporte du carburant et on « importe » cigarettes, drogues et armes. « Comment voulez-vous faire du tourisme lorsque l’Etat ne suit pas. Les Algériens préfèrent passer leurs vacances en Tunisie ou en Grèce plutôt que de venir à Djanet. Avec 27 000 dinars le billet d’avion Alger-Djanet (deux vols par semaine, l’un transitant par Ouargla et l’autre par Ghardaïa, environs trois heures de vol), rares sont les nationaux qui viennent », regrettent des patrons d’agence de tourisme, dont le jeune Ahmed Khirani à la tête notamment de l’hôtel Ténéré-village, ouvert en 1992. « On fera du tourisme, réellement, lorsque le policier, le douanier, le porteur ne feront plus la gueule aux étrangers à l’aéroport. On fera réellement du tourisme, lorsque le ministère nous entendra, lorsque les banques suivront ainsi que les autorités locales, quand il y aura moins de bureaucratie », résume Ahmed, qui a fait des études en tourisme et hôtellerie et qui a fréquenté l’USTHB de Bab Ezzouar à Alger. Dans son hôtel, à 5 kilomètres de la ville de Djanet sur la route de l’aéroport, vingt- deux touristes japonais, visiblement retraités, s’installent avant d’entamer un circuit d’une journée au Tassili. En dix jours, il devront faire le tour des sites algériens inscrits au patrimoine universel, nous explique Chafika, la vingtaine, de l’agence Chèche Tour basée au Mali. Depuis octobre 2005, douze groupes de japonais ont fait des séjours en Algérie. « La catastrophe ? C’est l’état des hôtels, et Air Algérie avec ses prix et ses retards », regrette Chafika. Autre difficulté : les vénérables nippons demandent systématiquement le nombre d’habitants de la ville où ils se trouvent, or les statistiques sont aussi rares qu’un bureaucrate affable. Les touristes japonais ont découvert l’offre Algérie grâce aux foires de tourismes mondiales organisées au Pays du Soleil levant. Sinon, « aucune présence de l’Algérie dans des guides à audience internationale », indique Chafika, d’origine algéro-espagnole, qui vient de placarder sur une porte du restaurant de l’hôtel un plan du circuit autour de Djanet parsemé d’idéogrammes nippons. « Avec la bouffe ça se passe bien. Les japonais exigent que le plat soit chaud et veulent, pour le petit-déjeuner, des œufs, des fruits et du thé », explique la jeune guide qui refuse de donner le montant du circuit. Mais ces touristes arrivent rarement là où même l’Etat central peine à pénétrer : monter 200 kilomètres vers le carrefour d’Ihrir, couper plein ouest pour traverser une piste de 220 kilomètres en territoire jupitérien, passer devant les gravures rupestres détériorées à Houcher dans le plateau de Tasset, s’incliner devant le pic d’Adredj et la montagne scindée en deux d’Inadh dont les Touareg expliquent la forme par le cri que la montagne a poussé lorsque le mont Mezriren a atteint Adredj avec une ballâ (lance), pour arriver dans la vallée de Tamadjert (« T’madjert », corrige le guide Yahia) et nager dans l’édenique guelta Timadouendi, à l’abri des roches gravées par des hommes il y a des milliers d’années. Des hommes qui ont immigré depuis dans l’histoire humaine et l’espace lybique sans se faire traiter de « clandestins », de « trafiquants de drogue » ou de « sidéens » en puissance.

    Adlène Meddi

     

     

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  • TELQUEL MAROC

    A Khouribga, on rêve d'Italie. Alors on fait confiance à des rabatteurs, à des passeurs, tous peu scrupuleux. Puis, contrat de travail bidon en poche, on vient s'entasser devant le consulat d'Italie, dans l'attente du visa…

    Dans la cohue qui anime les abords du consulat d'Italie, dans le très chic quartier Gauthier de Casablanca, un jeune candidat à l'émigration pour le pays de Berlusconi, de Baggio et des spaghettis, jubile de bonheur. Après une journée d'attente épuisante, il semble, d'un coup, avoir retrouvé toutes ses forces et tient à annoncer vite la grande
    nouvelle. “Allo Lwalida, c'est bon je l'ai eu, j'ai eu mon visa !”, hurle-t-il dans son portable, sous le regard envieux de tous ceux qui, comme lui, ont opté pour fuir le plus beau pays du monde. Hamid fera ainsi partie des 4000 Marocains qui, en 2006, auront droit au précieux sésame, grâce à un contrat de travail qu'ils auront pu décrocher, soit avec l'aide de proches déjà installés en Italie qui les recommandent habituellement à leur propre patron, soit comme Hamid et la plupart des autres, en ayant recours à des “passeurs” qui les leur procurent à 60 000, voire 90 000 DH/pièce. Cela représente une activité tout à fait profitable pour ceux qui tirent les ficelles. “Grâce à la sensibilisation faite par les médias depuis 2001, les candidats à la patera venant du milieu urbain ont dorénavant peur de s'y risquer. Ainsi ceux qui en ont les moyens se rabattent de plus en plus sur les contrats de travail”, analyse Khalil Jemmah, président de l'Association des familles des victimes de l'immigration clandestine (AFVIC).

    Une flopée de rabatteurs au triangle de la mort

    Que Khouribga soit la plaque tournante de ce trafic n'est un secret pour personne. Ici la ville regorge de rabatteurs et tout le monde peut vous en désigner au moins un. C'est le cas de ce chauffeur de taxi qui nous communique à notre arrivée déjà, deux numéros de téléphone, nous précisant, avant de nous lâcher dans la nature, qu'il en a d'autres en réserve au cas où. Paco, ce jeune militant de l'AFVIC qui doit son surnom à l'Espagnol qui l'a repêché alors que sa patera coulait, nous le confirme à son tour. Les rabatteurs ont fait leur QG de quelques cafés bien connus et trois d'entre eux sont d'ailleurs attablés dans le même que nous. A longueur de journée, ils reçoivent les candidats au départ, principalement des gens du “triangle de la mort” que forment Khouribga, Béni Mellal et Kelaât Sraghna. Rien de bien compliqué, ils n'ont même pas besoin de démarcher, tellement la demande est importante. “J'ai à ce jour 25 personnes sur ma liste d'attente”, se vante ce rabatteur, l'air très fier, avant d'ajouter : “mais je donne toujours la priorité à la famille et à ceux qui, à mes yeux, seront capables de payer. Comme je suis de la région et que je connais beaucoup de monde, je peux savoir rapidement qui est solvable et qui ne l'est pas. Ce qui est compliqué, c'est quand je reçois des étrangers, là on ne sait pas à qui on a affaire”.

    Habituellement les candidats comptent sur leurs parents et proches pour réunir de quoi payer le voyage. D'autres se tueront à la tâche pendant des années sans avoir la certitude de pouvoir y arriver. C'est le cas d' Amine. Ce serveur travaille depuis quatre ans, tous les jours de la semaine pour la modique somme de 900 DH. Il en a à peine mis 15 000 de côté à ce jour. Il est encore bien loin du compte, et, à ce rythme-là, il pourra accéder à son rêve dans une dizaine d'années ! D'après ce responsable associatif khouribgui, “cette situation est dramatique puisqu'elle pousse de plus en plus de jeunes, irréprochables à ce jour, à se lancer dans la vente de drogue ou la contrebande pour espérer y arriver plus rapidement”. Et c'est au rabatteur qu'incombe également la mission de récolter l'argent. “On touche 5000 à 10 000 DH d'avance, le reste lorsque le visa est délivré”, souligne cet autre semsar, nous avouant au passage qu'il se fait en moyenne 5000 DH par opération et que son ultime but, à peine avoué, est de partir en Italie pour devenir à son tour “passeur”.

    Un réseau de passeurs pour fouler le sol italien

    Comment alors les passeurs arrivent-il à dénicher ces précieux contrats ? Il faut savoir que ces hommes et femmes (oui, il y aurait des femmes dans le milieu), originaires surtout du triangle Khouribga - Béni Mellal -Kelaâts Sraghna , sont non seulement impliqués dans toutes sortes de trafics (voitures, drogue, falsification) mais sont installés depuis assez longtemps en Italie pour pouvoir connaître les rouages de leur pays d'adoption. Grâce à un réseau de connaissances bien établi, ils arrivent à entrer en contact plus facilement avec des patrons, essentiellement dans le domaine de la construction et de l'agriculture, des gens en difficulté financière ou tout simplement désireux de faire des profits supplémentaires. “Nous leur proposons de nous vendre des contrats légaux en bonne et due forme : ça peut aller d'un seul à une vingtaine chez le même propriétaire. En contrepartie nous leur promettons que personne ne viendra travailler chez eux : ils n'auront qu'à résilier les contrats quelques jours voire quelques semaines après que leurs “pigeons” auront foulé le sol italien”.

    Il est très clair, de l'aveu de nombreuses personnes déjà parties en Italie de cette manière, que le contrat n'est qu'un moyen pour accéder au pays. “La plupart de ceux que je connais, ne se sont jamais rendus sur leur lieu de travail et ont disparu dans la nature. Quant à ceux qui, comme moi, se sont présentés chez leur patron, ils l'ont regretté : c'était pire que de l'esclavage, un travail que les Italiens refusent de faire”, nous avoue Mohamed. Une chose est sûre : le passeur peut gagner de l'argent, beaucoup d'argent, même si l'un d'eux souligne que “les patrons italiens sont de plus en plus gourmands. Ils savent que leurs contrats sont très recherchés au Maroc, alors ils en profitent pour faire de la surenchère. Un contrat qu'on achète habituellement à 15 000 DH peut grimper jusqu'à 25 000”, ce qui laisse une marge on ne peut plus confortable pour celui qui, comme notre interlocuteur, réalise entre 20 et 40 opérations par an. Si les nouveaux dans le milieu gagnent beaucoup moins, de nombreux passeurs ont pu acheter des maisons à leur famille restée au Maroc, ouvrir des cafés impressionnants … On parle même d'une personnalité politique de la ville qui doit son statut actuel à son passé… de passeur.

    Les rêveurs entre escrocs et semsara gourmands

    D'autres escrocs lorgnent également ce marché en se faisant passer pour des rabatteurs. “Généralement ce sont des types qui ont perdu leur patera en mer et qui se retrouvent sans rien. Ils veulent se refaire une santé, empochent des avances à droite et à gauche et disparaissent dans la nature”, nous raconte Paco. D'autres auraient même réussi à fourguer de faux vrais contrats à de nombreux rêveurs d'un monde meilleur. “Un type qui avait déjà donné une avance de 15 000 DH a perdu la tête quand il a su que le contrat qu'on lui a vendu est un faux. Aujourd'hui, il traîne dans les rues sans même savoir comment il s'appelle”. On ne peut alors s'étonner de constater l'extrême méfiance qui entoure ce milieu à tel point qu'on entend de plus en plus souvent ce conseil: “Il ne faut pas se fier à un rabatteur ou à un passeur, même si c'est ton père”.

    Quant aux plus chanceux, ils attendent en moyenne près de trois mois pour que le contrat de travail se retrouve entre leurs mains. Explication d'un rabatteur gourmand : “Je ne peux pas rentrer au Maroc avec un seul contrat en ma possession, j'attends d'en avoir un minimum pour que ce soit rentable, mais ça ne dépasse pas les trois ou quatre mois d'attente”, répond ce passeur. Pourtant, pour tous ces acheteurs de rêve qui se voient déjà à Rome ou à Milan, une autre aventure commence et pas la moindre mais cette fois-ci, c'est au quartier Gauthier, à Casablanca, devant le consulat d'Italie.


    Visa. Et vogue la galère !

    Le parcours du combattant se poursuit donc pour décrocher le visa tant convoité. Le demandeur devra non seulement batailler fort pour se faire une place sur la rue Jean Jaurès (très souvent à coups de bakchich), réunir et traduire des documents qui n' en finissent pas (les traducteurs se frottent les mains à l'occasion), mais également attendre trois à six mois pour avoir une réponse, le temps que les autorités italiennes puissent faire les vérifications nécessaires. “En gros, ils vérifient l'authenticité du contrat, si le patron et sa société existent réellement et s'ils sont en règle”, explique un intermédiaire, au consulat. Le cas échéant, la demande est tout simplement refusée.

    Mehdi Sekkouri Alaoui
    Source : TelQuel

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  • "Le h’rig est une soupape pour le système"

    Antécédents
    Khalil Jemmah (Militant associatif,
    fondateur de l'AFVIC)
      1970.Naissance à Khouribga
      1994.Diplômé en commerce à Bruxelles
      2000.Retour à Khouribga, ouvre son cabinet d’assurances
      2002.Fondateur de l’Association des familles et amis des victimes de l’émigration clandestine (AFVIC)
      2003.Crée l’Economica Institut, pour l’économie sociale
      2004.Accuse l’OCP de discrimination

    Smyet bak ?

    Salah Ben Mohamed.

    L’agent OCP 94521 ?
    Exactement. L’agent qui a purgé 29 ans de sa vie à l’OCP. 29 ans de soumission dans un régime militaire.

    Calmez-vous Si Jemmah, c’est grâce à ce régime que votre papa a fait de vous un grand assureur aujourd’hui !
    Ça pouvait se faire sans la soumission. Une entreprise qui se respecte doit privilégier la motivation et le mérite plutôt que la servitude et la sanction.

    Ou n’ta malek ?
    Le 4 décembre 1970, ma mère, enceinte, s’est présentée à la clinique OCP pour accoucher. On lui a alors demandé le grade de son mari pour lui allouer la chambre qui sied à son rang social. C’est le premier acte de discrimination sociale dont j’ai été victime.

    Portez plainte !
    C’est une action que nous coordonnons avec différentes associations de droits de l’enfant. La démarche de l’OCP est contraire à la déclaration universelle des droits de l’enfant, dont le Maroc est signataire. Cette dernière stipule qu’un enfant ne doit pas subir de discrimination à cause des activités de ses parents.

    Smyet mok ?
    Khadija Scadi.

    Nimirou d’la carte ?
    Q 142 360.

    Un assureur prospère à la tête d’une association de harraga, ça fait louche… Qu’est-ce qui vous fait courir ?
    La peur que mes filles aient, un jour, besoin de faire leur vie ailleurs, loin de moi - comme plusieurs membres de ma famille - ou de périr au large comme ces milliers de jeunes chaque jour. C’est un sentiment de hogra qui me fait courir, une ferme volonté de changer les choses, de parler au nom des morts.

    L’État a récemment lancé une campagne contre l’émigration clandestine, y avez-vous pris part ?
    Non et c’est malheureux. Pourtant, les membres de l’AFVIC sont des experts agréés auprès du Conseil de l’Europe, qui les consulte régulièrement. C’est une campagne qui se trompe de message. Elle veut faire peur aux candidats, mais ça ne sert à rien, ils sont tous conscients du risque. Il faut, au contraire, leur donner de l’espoir.

    Que le pays n’offre peut-être pas finalement…
    Ce sont les ambitieux qui partent. Le h'rig est une soupape de sécurité pour le système. Il faut peut-être bloquer cette soupape et pousser les gens à réclamer leurs droits, à se bouger, au lieu de partir.

    Le système encourage le h’rig ?
    L’émigration est la première source de revenus du pays, mais c’est de l’argent stérile. Les nouvelles générations n’envoient plus autant. Comment fera-t-on dans 50 ans, sans l’argent des émigrés ? C’est un modèle économique dangereux.

    Vous montez une école privée qui prétend faire de l’économie sociale, c'est nouveau, ça !
    C’est un centre de formation de militants économiques, d'opérateurs qui, nous l'espérons, investiront dans leur région. Comme nous n’arrivions pas à avoir de fonds, nous avons dû mobiliser des fonds privés. C'est une initiative de l'AFVIC.

    Il ne manquait plus que ça, demander à des bailleurs de fonds associatifs de financer une affaire privée !
    Ce n’est pas une affaire privée. Les étudiants qui ne peuvent payer les frais de scolarité, d'environ 300 DH par mois, ne le font pas. Les écoles privées de commerce coûtent 10 fois plus cher !

    Si demain vous rencontrez le roi, que lui demanderez-vous ?
    Ce que les morts auraient aimé lui demander : nous soutenir pour faire du Maroc un espace de réalisation et des Marocains des citoyens de plein droit.

    Des sujets non ?
    Nous revendiquons le statut de citoyen ?

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  • TELQUEL MAROC
    (DR)
    Vous défendez les clandestins, hier Marocains, aujourd’hui Subsahariens. Que pensez-vous du drame que ces derniers vivent aux frontières maroco-espagnoles et maroc-algériennes ?
    Entendons-nous bien, le Maroc, comme tous les états du Sud, est juste un pays de transit. Il est à ce titre victime du phénomène. Et quand ce n’est pas le Maroc, c’est l’Algérie ou la Tunisie. Le royaume a été victime de pressions étrangères, et c’est la réaction des sécuritaires qui a été à l’origine du drame. Rien ne justifie que l’on jette des êtres humains dans le désert. A fortiori quand on sait que les frontières maroco-algériennes sont fermées. C’est comme si on envoyait les gens à la mort, tout simplement..

    N’est-ce pas, aussi, une faillite des politiques marocains ?
    Les politiques ont été absents, comme d’habitude. Seule la société civile essaie de faire contre-poids aux sécuritaires. Mais les conséquences restent avant tout politiques. Nous avons alerté nos autorités du risque qu’il y a à abandonner les clandestins (récupération par la Minurso, par le Polisario ou l’Algérie). Mais rien n’a été fait.

    Disposez-vous d’un bilan des pertes humaines dans les rangs des clandestins ?
    Il n’y a aucun bilan officiel, mais nos estimations font état d’au moins trente immigrés morts de soif et d’épuisement dans le désert marocain.

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