• TELQUEL MAROC
    (DR)
    Vous défendez les clandestins, hier Marocains, aujourd’hui Subsahariens. Que pensez-vous du drame que ces derniers vivent aux frontières maroco-espagnoles et maroc-algériennes ?
    Entendons-nous bien, le Maroc, comme tous les états du Sud, est juste un pays de transit. Il est à ce titre victime du phénomène. Et quand ce n’est pas le Maroc, c’est l’Algérie ou la Tunisie. Le royaume a été victime de pressions étrangères, et c’est la réaction des sécuritaires qui a été à l’origine du drame. Rien ne justifie que l’on jette des êtres humains dans le désert. A fortiori quand on sait que les frontières maroco-algériennes sont fermées. C’est comme si on envoyait les gens à la mort, tout simplement..

    N’est-ce pas, aussi, une faillite des politiques marocains ?
    Les politiques ont été absents, comme d’habitude. Seule la société civile essaie de faire contre-poids aux sécuritaires. Mais les conséquences restent avant tout politiques. Nous avons alerté nos autorités du risque qu’il y a à abandonner les clandestins (récupération par la Minurso, par le Polisario ou l’Algérie). Mais rien n’a été fait.

    Disposez-vous d’un bilan des pertes humaines dans les rangs des clandestins ?
    Il n’y a aucun bilan officiel, mais nos estimations font état d’au moins trente immigrés morts de soif et d’épuisement dans le désert marocain.

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  • Triangle de la mort

    Entretien avec Khalil Jemmah, président de l’Afvic*
     
    · Pour la population, les «harragas» sont des bienfaiteurs en puissance

    · Impunité et silence complice pour les passeurs


    - L’Economiste: L’émigration clandestine bat son plein dans cette région dite triangle de la mort. Quelle est votre analyse de ce phénomène?
    - Khalil Jemmah: Je pense qu’il faut plonger un peu dans l’histoire de cette région au nom plus que mérité de triangle de la mort. Historiquement, elle est liée à l’Europe. A leur départ, les colons français installés dans la région, ont emmené avec eux leur personnel de maison que va suivre après leur famille. Il y a ensuite la création, dans le cadre du plan Marshall, d’un bureau de placement dans la ville de Khouribga pour recruter des jeunes pour aller travailler en France. C’était alors la première vague de migrants de la région. C’est leur retour lors de vacances, avec tout l’étalage qu’ils faisaient de leurs richesses nouvellement acquises, qui va nourrir l’imaginaire des restants.
    L’Europe va représenter désormais, pour eux, le chemin le plus court pour accéder à la richesse. D’où une vague de départs, même s’ils restent limités par la difficulté d’avoir alors un passeport. Ce qui va changer à partir de 1989, l’obtention d’un passeport devenue plus aisée. Un raz-de-marée humain se déversera alors sur l’Europe. Pas uniquement la France qui venait d’instaurer à ce moment le système des visas, mais vers d’autres pays dont notamment l’Italie. C’est d’ailleurs entre 1989 et 1991, que la première vague de migrants marocains a gagné l’Italie. C’est un an plus tard, et suite à son adhésion en 1992 à l’espace Schengen, que se déclenchera le phénomène de l’émigration clandestine.

    · Mais ce n’est pas l’unique explication…

    - En effet, l’explication historique ne doit pas occulter les aspects socio-économiques. Les trois provinces du triangle de la mort souffrent d’une grande marginalisation. Riches économiquement, elles sont très pauvres socialement. Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi, alors que l’on a une agence de développement du Nord, une autre pour le Sud, on n’en a pas une pour le centre. Cette région souffre d’un grand manque d’espaces de réalisation pour les jeunes. L’absence d’un encadrement réel de la jeunesse laisse le terrain libre aux passeurs. Un jeune qui n’a rien à faire est soit recruté par les mouvements intégristes et mue donc en bombe vivante, soit il tombe dans les filets des passeurs et devient un clandestin. Les chances qu’il soit attiré par le tissu associatif et devienne acteur social sont minimes.

    · Justement, la région est réputée pour abriter une toile dense de réseaux de passeurs.

    - En effet, les réseaux de mafia humaine ne cessent de se développer. L’approche sécuritaire adoptée par les pays européens et le Maroc pour endiguer les flux migratoires n’a eu pour effet que d’engraisser davantage ces passeurs qui se sont mieux organisés. Nous n’avons plus affaire à un passeur mais plutôt à des bandes.
    Des réseaux se sont constitués. Mais le comble, c’est qu’ils bénéficient d’une impunité totale. Pis encore, d’anciens passeurs se convertissent en élite de la ville. Ils occupent des postes politiques dans la ville. Il y a même aujourd’hui certaines communes rurales présidées par d’anciens passeurs. Ce qui va aggraver encore le problème puisque ces passeurs vont représenter des modèles à suivre. Je pense que pour endiguer ce mal, les pouvoirs publics doivent agir en amont et ne pas attendre que des drames surviennent pour intervenir. D’autant que les passeurs sont généralement connus de tout le monde.
    Une police d’investigation a un rôle primordial à jouer dans ce sens avec enclenchement des procédures de filature des suspects. C’est le seul moyen pour arrêter l’hémorragie. Nous espérons qu’avec la direction de la migration qui vient d’être mise en place, les choses vont changer. Je tiens à rappeler ici que le tribunal de la ville de Khouribga, il y a près d’un mois, vient de juger un passeur qui a écopé de 20 ans de prison ferme. C’est une première au niveau national. C’est pour la première fois que l’on a activé le texte de loi relatif à l’émigration clandestine.

    · On parle aussi du silence complice de la population…

    - Oui, les passeurs ici profitent de la couverture et de la complicité de tous. Il est rare d’obtenir des informations sur les passeurs de la part des habitants. Non seulement parce qu’ils leur font miroiter la possibilité d’une seconde chance à tarif réduit, mais parce qu’à leurs yeux, ces «harragas» sont des sortes de sauveurs sociaux, des «bienfaiteurs» qui participent au développement de la région. Bref, des sortes de «Robin Hood» des temps modernes. D’autant plus que nos passeurs sont réputés pour leur savoir-faire et leur expertise puisqu’ils empruntent rarement des voies risquées et dures.

    Propos recueillis
    par Khadija EL HASSANI
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    (*) Association des amis et familles des victimes de l’émigration clandestine.

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  • Khalid Jemmah Président de l'AFVIC (Association des familles et amis des victimes de l'émigration clandestine)

    Le journal Hebdo Maroc

    Comment avez-vous pris conscience de l'ampleur de ce problème ?
    Au vu de l'importance des appels reçus par nos centres d'écoute, nous avons conclu que le phénomène des prisonniers marocains en Libye est loin d'être marginal, qu'il concerne un nombre important de familles. Les témoignages accablants de ceux qui sont retournés nous a poussés à passer à l'action. Du coup, on a mis en place une cellule spéciale pour aider les familles des jeunes marocains, emprisonnés ou disparus.
    2000 prisonniers, c'est énorme…
    C'est un chiffre basé sur les témoignages de ceux qui étaient en place, et dans différents établissements pénitenciers. Nous avons recoupé les témoignages. D'où ce nombre que nous avons publié dans notre dernier communiqué.
    Avez-vous recoupé avec les chiffres de l'ambassade marocaine à Tripoli ?
    L'ambassade parle de 600 personnes enregistrées dans ses services qui ne seraient pas en prison mais dans des centres de rétention, en attente de leur rapatriement. Nous avons été surpris par la réaction de l'ambassade qui a parlé de 60 prisonniers marocains de droit commun. Nous n'avons pas l'intention de faire dans la guerre des chiffres. Nous voulons tout simplement trouver une solution à ces prisonniers qui sont dans une situation déplorable et qui, de plus, n'ont pas bénéficié d'un quelconque procès.
    Vous parlez des prisonniers, mais il y a également des disparus…
    Et des disparus qui sont en fait en prison et qui n'ont aucun contact avec leurs familles. D'après nos informations, il y en a ceux qui sont dans ces prisons depuis 2003 sans que leurs familles soient informées. Ce n'est pas normal. Ce qui est encore plus bouleversant, c'est que les témoignages des anciens détenus parlent d'agressions physiques, de privations de toutes sortes et d'insultes.
    Que prévoit l'AFVIC pour rapatrier ces jeunes ?
    Nous avons commencé par médiatiser cette affaire afin de sensibiliser nos décideurs politiques sur les conditions inhumaines réservées à nos concitoyens dans les prisons libyennes. Nous allons avoir des rencontres avec des responsables marocains et libyens. Nous allons également envoyer une lettre au président Kadhafi l'invitant à rapatrier ces jeunes à leurs mamans qui les attendent depuis plusieurs mois. Et que le prochain voyage du bateau « Khan Khalil » qui relie Tripoli à Casablanca nous les ramène au pays.

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  • Evenement Septembre 2005

    Par : Abdelmohsin EL HASSOUNI ; Aujourd'hui le Maroc


    L’association des amis et des familles des victimes de l’immigration clandestine (Afvic) condamne le racisme latent chez certains marocains. Entretien avec Khalil Jemmah, le président de cette association.


    ALM : À combien estimez-vous le nombre d’immigrés subsahariens au Maroc ?
    Khalil Jemmah : Le nombre estimé des subsahariens dans le nord du Maroc est de 3000. Ils sont surtout concentrés à Belyounech, Gourougou et Oujda. Au sein de notre association, nous sommes étonnés de l’évolution des choses au cours de ces dernières semaines. Cette grande campagne médiatique menée actuellement sur ce sujet-là ne signifie guère que le nombre des subsahariens a connu une augmentation. Le flux de l’immigration clandestine pour les subsahariens est normal.

    À votre avis, quelles sont les raisons de cette campagne médiatique ?
    Il faut d’abord définir le contexte général qui a précédé le lancement de cette campagne. Il y a en premier la visite récente du président du Parlement européen, Joseph Borell. Dans des entretiens avec de hauts responsables marocains, il avait évoqué, entre autres sujets abordés, l’épineux problème de l’immigration clandestine. En plus de cela, il y a le décès récemment de trois subsahariens qui a remis au-devant de la scène ce phénomène. Ce sont là deux événements qui ont contribué à la surmédiatisation de la présence d’immigrés clandestins subsahariens.

    Quelles sont les causes de ces trois décès ?
    Deux de ces trois subsahariens ont péri lorsqu’ils ont tenté de rentrer de force dans l’enclave de Melilla. Mais, c’est le troisième cas qui a suscité un tollé au sien de la société civile. Des médecins appartenant à une organisation non-gouvernementale ont affirmé qu’il a été tué puisqu’ils ont constaté un hématome dans son ventre. En fait, c’est une balle en caoutchouc tiré, par les autorités espagnoles ou marocaines ( on ne sait pas encore!), qui lui a coûté la vie.

    Comment comptez-vous réagir face à ces derniers développements ?
    Notre action sera focalisée sur la montée de la xénophobie chez une grande partie de Marocains. C’est parce que nous constatons de plus en plus une forme de racisme latent que nous allons lutter davantage contre la xénophobie. Vous savez, nous avons vécu les mêmes événements à Elijido, en Espagne. Mais, je pense que les choses sont encore plus dramatiques au Maroc, et ce parce que la société civile est moins impliquée. L’Afvic a également dénoncé le fait que le journal «Achamal» compare les subsahariens à des «criquets noirs».


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  • Les deux naufrages qui se sont produits simultanément le 1er décembre au large de la Libye et des côtes du Sahara Occidental le prouvent une fois de plus : rien n’arrête les candidats à l’émigration clandestine.

    De notre correspondante à Casablanca; RFI

    Douze morts et cinquante-six disparus sur la côte libyenne, trente-six morts dans la région de Laâyoune, au Sahara Occidental, selon un représentant de Médecins Sans Frontières. Très majoritairement venus de pays d’Afrique Subsaharienne, pour tenter une traversée clandestine vers l’Europe. De tels drames sont courants au Maroc, les vagues de l’Atlantique ayant vite fait de renverser les barques de pêche, les «pateras» sur lesquelles s’embarquent régulièrement les candidats au rêve européen. Sept cents Marocains ont ainsi perdu la vie en 2001. «Certaines régions sont véritablement sinistrées, elles perdent leurs jeunes de cette façon, dans une indifférence totale et le silence des autorités». Khalil Jemmah, qui résume ainsi la situation, est le président de l’unique association marocaine à dénoncer les ravages de l’émigration clandestine. L’AFVIC (Association des amis et familles de victimes de l’immigration clandestine) travaille depuis un peu plus d’un an sur tous les dossiers liés à l’émigration clandestine.

    Côté chiffres, les statistiques sont particulièrement difficiles à établir, clandestinité oblige. Une certitude, cependant : une arrestation équivaut à trois passages «réussis». A partir de cette donnée, Pierre Vermeren a pu estimer, pour le Monde Diplomatique de juin 2002, que 100 000 personnes tentaient, chaque année, de franchir le seul détroit de Gibraltar, puisque 21 000 clandestins y avaient été appréhendés durant les huit premiers mois de l’année 2001. Il convient, malgré tout, de nuancer ces estimations effarantes, dans la mesure où les candidats au passage sont souvent des récidivistes. En dépit des arrestations et des naufrages, les survivants poursuivent inlassablement leur quête de l’Eldorado européen.

    Des filières organisées

    Pour Khalil Jemmah, c’est «l’illusion» qui est la première cause de ces tentatives désespérées de fuir un pays qui ne leur offre pas d’avenir. L’arrivée massive des antennes paraboliques au royaume chérifien, dans les années 90 y est bien sûr pour quelque chose. Mais plus encore, le retour, chaque été, des MRE, ces Marocains résidents à l’étranger, qui impressionnent avec leurs voitures flambant neuves et l’argent dépensé sans compter. Avec un chômage endémique et 18% de la population au-dessous du seuil de pauvreté absolue, l’envie de quitter le pays pour un ciel meilleur tourne vite à l’obsession. D’où les récidives de candidats qui ont peut-être perdu leur naïveté de terriens quant à la facilité de la traversée, mais qui estiment qu’il est de leur devoir de ne revenir à la maison qu’après avoir «réussi» en Europe. La détresse ne suffit cependant pas à expliquer, seule, l’ampleur du phénomène. Les passeurs sont organisés en filières qui assurent jusqu’au recrutement des futurs clandestins. Le «recruteur» travaille dans un périmètre bien délimité, il remet ensuite ses candidats au passeur, qui appuie sa logistique sur des «hébergeants», côté marocain et côté espagnol. Le tout est supervisé par un «cerveau», Marocain ou Espagnol la plupart du temps, mais qui peut être aussi Portugais ou Turc. «On connaît les passeurs, on pourrait établir des listes, dit encore Khalil Jemmah, mais la législation marocaine ne criminalise pas leur activité. On ne peut les attaquer en justice que dans le cadre d’une escroquerie, ce qui est très rare, puisqu’on les voit plutôt comme des Robin des Bois

    En attendant, c’est toute la côte Nord du Maroc, de Al Hoceima à Kénitra, qui est touchée par le phénomène des «pateras» de clandestins à destination de l’Espagne, ainsi que la côte saharienne face aux îles Canaries, de Tarfaya à Dakhla. Des points de passages où des clandestins d’Afrique subsaharienne viennent s’ajouter aux Marocains. Et auxquels il faut, en outre, ajouter les «combines» trouvées par ceux qui ne peuvent réunir les 5 000 à 10 000 dirhams (500 à 1000 euros) du passage par la mer. Passagers clandestins des camions embarquant à Tanger ou à Casablanca, enfants s’introduisant dans les villes espagnoles de Ceuta et Melillia, sachant que l’Espagne ne peut les expulser s’ils sont mineurs, ou tentant quotidiennement de s’embarquer aussi par Tanger. Les plus favorisés, mus eux aussi par le manque de perspectives au pays, se font exfiltrer en Europe lors d’une escale aérienne, s’ils n’ont pas obtenu de visa par la voie légale. On le voit, tout est bon pour fuir le Maroc, classé 123ème au monde pour son développement humain. Les tribunaux doivent même traiter, actuellement, d’une «escroquerie», organisée en 2001 par une association affiliée au parti conservateur de l’Istiqlal qui devait, sous couvert d’une croisière, faire émigrer clandestinement de jeunes marocains en Grèce et en Italie !

    Sans développement économique tangible des pays concernés, le rêve européen risque donc de continuer à charrier ses cadavres sur les plages marocaines et espagnoles.


    par Isabelle  Broz


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